Massacre de Thiaroye : Mamadou Diouf dénonce les zones d’ombre et les réticences françaises
Pour la première fois depuis 80 ans, l’État du Sénégal a officiellement commémoré le massacre de Thiaroye, survenu le 1er décembre 1944. Un tournant historique salué par l’historien Mamadou Diouf, président de la commission nationale chargée de faire la lumière sur ce drame longtemps enfoui. Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, il revient sur l’état d’avancement des travaux et dénonce sans détour les obstacles qui entravent la quête de vérité. « L’État sénégalais affirme enfin sa souveraineté historique », insiste-t-il, soulignant que pendant des décennies, « les Français avaient imposé aux gouvernements sénégalais successifs de ne pas évoquer ce drame ». Ce silence imposé sur le massacre des tirailleurs, de retour du front européen, a durablement pesé sur la mémoire collective. Pour Mamadou Diouf, l’urgence est désormais de combler les énormes vides qui entourent les faits. « On ne sait toujours pas combien de tirailleurs ont été rapatriés de Morlaix à Dakar en 1944, ni combien étaient présents à Thiaroye au moment des événements. Le nombre exact de morts, le lieu précis des exécutions, comme celui des sépultures restent inconnus. » Ces lacunes, dit-il, sont révélatrices d’un récit volontairement brouillé. La commission travaille à recenser toutes les archives disponibles, à relire les travaux existants avec un regard critique et à initier des recherches archéologiques de terrain. Mais elle ne prétend pas livrer une vérité ultime : « Nous ouvrons des pistes, pour que d’autres historiens africains puissent continuer ce travail. » Cependant, le chantier de la mémoire se heurte à une barrière majeure : l’accès restreint aux archives françaises. « Nous avons envoyé une mission d’historiens et d’archivistes en France. Certaines pièces ont pu être consultées grâce à l’appui des autorités françaises, mais d’autres nous ont été tout simplement refusées », déplore Mamadou Diouf. Il voit dans ces refus une volonté manifeste d’étouffer un épisode trouble : « Thiaroye est un massacre de la Libération, une période cruciale pour la reconstruction du mythe gaulliste. Certains documents ont été manipulés. »Pour lui, cette réticence est le signe d’un refus de la France d’assumer pleinement cette part sombre de son histoire. Il en appelle à une souveraineté documentaire totale : « On ne peut prétendre faire la lumière sans un accès complet aux archives. Cette exigence est non négociable. »