“Les énarques sénégalais : Serviteurs de l’État ou pilleurs de la Nation ?”

Au Sénégal, l’École Nationale d’Administration (ENA) a toujours été présentée comme le creuset de l’élite administrative. Une institution prestigieuse où ne sont censés entrer que les meilleurs, les plus méritants, à l’issue d’un concours extrêmement sélectif. Pourtant, une interrogation dérangeante mérite aujourd’hui d’être posée : et si l’ENA était devenue, non pas un vivier de serviteurs de l’État, mais une fabrique de voleurs de deniers publics ?

Du Président Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, un constat inquiétant se dégage : dans presque tous les scandales financiers ayant secoué le Sénégal, des hauts fonctionnaires sortis de l’ENA sont cités. Inspecteurs des impôts, douaniers, magistrats, préfets, gouverneurs… ces « enfants de la République » tiennent les rênes de l’administration. Ils occupent des postes stratégiques, souvent synonymes de pouvoir et d’influence, mais aussi, malheureusement, de tentation et d’abus.

Leur train de vie interroge. Villas luxueuses, voitures à plusieurs dizaines de millions de francs CFA, voyages à l’étranger, argent distribué à tout-va… Une partie non négligeable de ces fonctionnaires mène un train de vie largement au-dessus de leurs revenus officiels. L’image du fonctionnaire « énarque » riche comme Crésus s’est normalisée dans l’imaginaire collectif sénégalais, à tel point que cela ne choque plus vraiment.

Pourtant, il faut oser le dire : beaucoup de ces hauts cadres ont été au cœur de la dilapidation des ressources publiques. Il ne leur coûte rien de poser leur signature sur des dossiers douteux, tant que cela leur garantit un retour personnel. Au détriment, bien sûr, des populations qui continuent de souffrir du manque d’infrastructures, d’équipements de base, et de justice sociale.

Le régime de Macky Sall, qui vient de tirer sa révérence après 12 ans de pouvoir, n’a été que la continuité des pratiques de ses prédécesseurs. Durant son magistère, les scandales financiers n’ont pas manqué. L’un des plus retentissants, celui de la gestion du fonds COVID-19, commence aujourd’hui à produire ses effets, avec des convocations, des arrestations, et des soupçons lourds pesant sur des proches du régime sortant. Et ce n’est certainement que le début. D’autres noms d’illustres personnages pourraient surgir si les enquêtes se poursuivent avec rigueur et impartialité.

À l’ère du slogan « Jub, Jubal, Jubanti », symbolisant la droiture et l’intégrité, le Premier Ministre Ousmane Sonko est attendu au tournant. Il a promis la traque des fonctionnaires milliardaires. Et c’est une nécessité. Car seul au Sénégal, on tolère qu’un inspecteur des impôts ou un douanier, avec un salaire de cadre moyen, puisse construire une maison à plusieurs centaines de millions, rouler dans des bolides à 50 millions et plus, sans qu’aucune enquête sérieuse ne soit ouverte.

Il est également urgent de remettre à plat le système des fonds communs, souvent accaparés par une minorité issue de l’ENA, pendant que d’autres fonctionnaires, tout aussi compétents mais n’ayant pas eu la « chance » d’intégrer cette école, sont marginalisés, discriminés et sous-payés dans la fonction publique.

Espérons qu’Ousmane Sonko tiendra parole. Car si la justice sociale et l’équité dans l’administration ne sont pas rétablies, le Sénégal continuera de nourrir une caste de fonctionnaires privilégiés, protégés par leur statut, pendant que le peuple trime dans l’ombre d’une République à deux vitesses.

I. DIOUF

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