Du don de soi au don pour soi : le nouveau visage du militantisme sénégalais.
Depuis l’aube de son indépendance, le Sénégal se rêve en modèle de démocratie en Afrique. Mais, de plus en plus, le sentiment qui habite de nombreux citoyens est celui d’un pays confisqué — une nation transformée en gâteau à se partager entre militants, proches du pouvoir et privilégiés du moment.
Alors, la question s’impose : que deviennent les simples citoyens, les sympathisants désintéressés, les Sénégalais lambdas ?
Durant plus de deux décennies, les régimes de Wade et de Macky Sall ont laissé une profonde cicatrice dans la conscience collective du peuple sénégalais. De scandales financiers en promesses non tenues, les Sénégalais ont assisté impuissants à une gestion souvent clanique et patrimoniale de l’État. Le pays semblait être devenu une affaire de famille, une entreprise privée où les postes et les privilèges se distribuaient comme des parts de gâteau.
Cette gouvernance défaillante a fini par pousser une partie du peuple à bout. Entre 2021 et 2024, le Sénégal a vacillé au bord du chaos. Les manifestations en soutien à l’opposant d’alors Ousmane Sonko ont fait près de 80 morts, des centaines de blessés et de détenus. Beaucoup de ces victimes n’étaient affiliées à aucun parti politique : des citoyens ordinaires, révoltés contre l’injustice et la confiscation de la parole publique.
L’élection de Bassirou Diomaye Faye, sous la bannière de PASTEF, a été accueillie comme une renaissance. Un souffle d’espoir. Un vent de changement.
Le credo du parti — “le don de soi pour la patrie” — a su séduire un peuple fatigué de l’arrogance et de la corruption. Pour beaucoup, c’était enfin l’heure de la rupture avec le passé, l’heure d’une gouvernance au service du peuple et non d’un clan.
Quelques mois après l’accession au pouvoir du nouveau régime, des signes inquiétants apparaissent. Des militants zélés, des chroniqueurs partisans, des influenceurs autoproclamés défenseurs du régime ont envahi les réseaux sociaux.
TikTok, Facebook, YouTube… les plateformes numériques sont devenues des champs de bataille où l’insulte, la menace et la diffamation tiennent lieu de débat.
Certains se sont même improvisés “tiktokeurs de directeurs généraux ou ministres”, cherchant à plaire à leurs supérieurs ou à se faire remarquer pour obtenir un poste. D’autres passent leurs journées à “faire des lives”, à jeter le discrédit sur leurs compatriotes, au lieu de contribuer à l’élévation du débat national.
Sur les plateaux YouTube, c’est la même dérive : chaque chroniqueur se positionne pour séduire Sonko ou flatter les militants les plus radicaux. Le discours s’enlise dans l’aveuglement partisan, loin des idéaux de justice, de travail et de transparence qui ont porté Pastef au pouvoir.
À Ousmane Sonko et aux dirigeants de PASTEF, un rappel s’impose : la majorité qui vous a élus est celle qui reste silencieuse. Celle qui observe, espère.
Le Sénégal d’aujourd’hui semble pris en otage par une minorité de militants bruyants et arrogants qui se comportent comme les héritiers d’un butin électoral. Ils se croient propriétaires du pays, détenteurs de privilèges que les autres citoyens n’auraient pas mérités.
La récente sortie de Salimata Dieng, militante de PASTEF, réclamant davantage de considération pour la jeunesse militante au sein du gouvernement, illustre parfaitement cette dérive. Non pas que la jeunesse n’ait pas droit à des opportunités mais « exiger des postes » “parce qu’on est militant”, c’est trahir le sens même du projet de Sonko.
Son limogeage rapide a certes rassuré certains, mais il a surtout révélé l’état d’esprit opportuniste d’une frange du parti : beaucoup attendent leur “part du gâteau”, oubliant que l’engagement politique doit être d’abord un service rendu à la nation, non une porte ouverte vers les privilèges.
Le Sénégal ne peut pas se permettre de répéter les erreurs du passé.
Les sacrifices consentis par les jeunes tombés dans les manifestations, les espoirs placés dans le changement, ne doivent pas être trahis par des comportements égocentriques.
Le don de soi pour la patrie ne doit pas rester un simple slogan de campagne. Il doit se traduire par une gouvernance sobre, inclusive et respectueuse du citoyen ordinaire.
Le Sénégal n’est pas un gâteau à partager entre militants.
Le Sénégal appartient à tous les Sénégalais.
Et c’est en servant ce principe fondamental que le pays retrouvera sa dignité, sa cohésion et son cap.
TASS XIBAAR